samedi 9 mai 2009

NERVAL (5)





II. COLOMBO (Cristofaro)



Le pape Sixte IV, aux mœurs très libérées comme son contemporain et futur successeur Rodrigue Borgia, avait réuni, au Vatican et à Canterbury, toutes les découvertes des Templiers chez les alchimistes d’Occident et les mages d’Orient, donc toutes les connaissances de l’Humanité. En faisant terminer la superbe chapelle Sixtine (encore visible de nos jours), il a confié à une équipe de moines intellectuels l’étude des précieux documents. Ces moines sont dirigés par son neveu Fra Benito, le héros de l’expédition en Angleterre. (Voir : Ultimo cavaliere).
Le travail de décryptage et d’assimilation des données est terriblement long. Le pape Sixte meurt en 1484, six ans après la mission en Angleterre. Fra Benito n’a pas terminé son œuvre et la poursuit sous le pontificat d’Innocent VIII, un ami de Rodrigue Borgia, lequel revient à l’avant-plan après une brève éclipse sous Sixte.


(LECTEUR : -Faut-il tant insister sur ces papes, dévergondés ou non ?
AUTEUR :-Indispensable pour cerner l’enchaînement d’événements qui ont modifié le cours de l’Histoire.)



Fin 1490, soit une douzaine d’années après le commencement de l’interminable analyse, Fra Benito redécouvre des versions plus complètes que celles que nous connaissons de textes de Solon et Platon relatifs à l’Atlantide et au Continent qui se situe au-delà. Une Atlantide décrite comme excessivement riche et puissante, mais engloutie par la colère des dieux. A-t-on pu sauver une partie de ses richesses en les transbordant sur le continent inconnu…que les Atlantes avaient peut-être colonisé ? Si tel était le cas, il y aurait de quoi renflouer les caisses vaticanes, qui ont toujours grand besoin de nouveaux apports depuis la fin du schisme, la création de l’Etat et l’entretien d’une armée.
Le pape Innocent souffre-t-il de sénilité précoce ou est-il usé par trop d’excès ? Ne violons pas le secret médical et signalons simplement que Fra Benito, au lieu de révéler les nouvelles découvertes à un Pontife qui n’y comprendrait plus rien, s’adresse au responsable de la Curie, Rodrigue Borgia, neveu du pape Calixte III et, bien que prélat, père de quelques princes (César,…) et d’une belle petite fille de dix ans, prénommée Lucrèce.


(LECTEUR :-Drôle d’époque, où les cardinaux étaient pères de famille nombreuse !
AUTEUR :-Le sentiment familial prédominait en effet chez les Borgia. Mais je n’irais pas jusqu’à écrire qu’ils sont à l’origine de la Ligue des familles…Le milieu ecclésiastique entretenait des harems de courtisanes, certaines devenues plus célèbres que les princesses de l’époque.)



C’est donc à Rodrigue Borgia que Fra Benito expose les données relatives au continent disparu et à celui encore à découvrir. Les richesses potentielles de cette découverte intéressent au plus haut point l’homme le plus puissant de Rome, qui se voit aussi régner sur l’Europe et le monde.
Grâce à de très anciennes cartes, les deux hommes peuvent visualiser le grand voyage : la distance qui sépare la vieille Europe du monde encore inconnu mais vraisemblablement très riche est de mille lieues, peut-être plus. Avec les légendes décrivant les vertigineux abîmes aux extrémités de la Terre, on se demande quels marins oseraient une telle aventure.
Rodrigue Borgia connaît de réputation un Génois, Christophe Colomb, qui a déjà vogué loin sur les côtes africaines, qui paraît toujours motivé par de nouveaux défis, et qui veut depuis des années naviguer vers l’Ouest. Mais personne jusqu’ici (Gênes, Naples, Milan, Espagne, France, Portugal,…) ne l’a pris au sérieux. Il faut donc contacter Christophe Colomb…et faire financer son voyage par L’Espagne. Car l’union Castille et Aragon, Isabelle et Ferdinand, a fait de la terre natale des Borgia la plus grande puissance au monde, où les Rois très catholiques ont en plus redonné vigueur à la sainte Inquisition, face aux fléaux maure et juif. Le royaume de Grenade est enfin tombé, et tant qu’à faire d’expulser les maures, on expulse aussi les juifs, qui disposent de quelques mois pour faire leurs bagages. Ensuite, pour les désobéissants, ce serait la solution finale…


(LECTEUR :-La reine Isabelle, que je pensais nunuche mais mignonne, lançant les inquisiteurs contre Juifs et Arabes assommés par un même joug. Et laissant sans doute allumer des bûchers ! Mais Hitler n’a décidément rien inventé…
AUTEUR :-Non, Hitler n’a rien inventé. Il ne fut qu’un sinistre chef de bande à une époque oscillant entre mercantilisme et stalinisme. Exploitation de l’homme par l’homme à l’Est et à l’Ouest. Mais revenons au 15ème siècle qui a fait moins de morts. Uniquement parce que la terre était alors moins peuplée et les armes moins performantes. Ce qui n’empêchera pas le 16ème d’être celui d’un génocide, avec des millions de morts -mais des sauvages !- dans ce qui sera bientôt l’Amérique. Et ce n’est pas fini, après le temps de conquistadores, ce sera celui des cow-boys, de Buffalo Débile…puis des Bush)


Nouvelle mission pour Fra Benito : aider le Génois à se lancer dans l’expédition, en cachant aussi longtemps que possible l’objectif « Nouveau monde » ; convaincre les Rois d’Espagne de financer une expédition qui doit renforcer le pouvoir de la Chrétienté ; enfin, accompagner Colomb et ses marins dans leur grand voyage.

Fra Benito rencontre rapidement Colomb. Un illuminé qui croit que la terre est ronde…


(LECTEUR : -La Terre était déjà ronde ? Mais les aventures de Galilée, pile un siècle plus tard, qu’on a failli brûler pour moins que çà ?
AUTEUR :-Au temps d’Isabelle et Borgia, on ne brûlait sans doute encore que parcimonieusement. Sans qu’il faille y voir un début de la crise de l’énergie.)



… et qu’on peut atteindre les Indes par l’Ouest, en traversant l’immense Atlantique. Illuminé ou éclairé ? Beaucoup des données de Colomb rejoignent celles du prélat. Pas de doute, l’intrépide marin génois a eu accès lui aussi à de formidables secrets. Et on se met rapidement d’accord : la future expédition au-delà de l’Atlantide engloutie aura officiellement pour objectif la découverte d’une route maritime vers les Indes.Un mystérieux continent sur le chemin constituera un bonus.
Il faut maintenant penser au financement de l’expédition, et, avant que Colomb ne fasse sa demande officielle, Benito part en éclaireur, en tant que légat du pape, chez les souverains de l’Espagne nouvelle. Sa mission sera délicate : Isabelle et Ferdinand sont, sans jeu de mots, plus catholiques que le pape de l’époque. Et encore plus sanguinaires : leur traque à l’Infidèle fera plus de morts que le poison des Borgia, qui ne fut administré qu’en doses homéopatiques et en dernier recours, si et uniquement si diplomatie et corruption avaient échoué. Pas question de dévoiler déjà aux souverains la recherche d’un nouveau continent dépositaire peut-être des trésors de celui englouti il y a des millénaires. Non, on prend simplement un raccourci pour les Indes, de manière à dribbler le rival portugais qui s’entête sans succès à vouloir contourner l’Afrique et n’est, d’après les cartes dont dispose Fra Benito, qu’à la dixième partie de son voyage d’exploration. Evidemment : les Portugais avancent de quelques journées, posent un nouveau comptoir, viennent rendre compte, repartent à peine plus loin et tournent ainsi longtemps en rond.


(LECTEUR : -Le vocable « dribbler » ne fait pas tellement 15ème siècle, bien que la méthode portugaise évoque celle de leur équipe de foot !
AUTEUR : -Bien vu. Mais on est dans un match Espagne-Portugal, notre public est du 21ème siècle, et l’Espagne va vraisemblablement l’emporter. Une meilleure défense, moins de frioritures dans l’entrejeu, plus d’opportunisme devant. Le 15ème siècle, avec entre autres l’invention de l’imprimerie, a sans doute inauguré le temps du réalisme, et aussi celui de la mondialisation…On aime ou on n’aime pas, mais faut vivre avec.)



Qu’est-ce qui pousse Fra Benito à servir ainsi un Vatican dont il connaît l’hypocrisie, dont il ne profitera pas énormément puisqu’il n’est même pas de la « Famille » (Famille : nom commun à l’origine du terme Mafia), et où il est devenu un Etranger…


(LECTEUR : -Et nous v’là chez Camus !
AUTEUR : -Nous vivons en effet au temps de la Peste et peut-être de pire encore…)



…un étranger depuis la mort de son oncle Sixte. Les autres « neveux » de Sixte étaient en réalité ses fils et ont été princes ; Benito, neveu réel et prêtre accidentel, fut à la fois moine et soldat. Ce qui explique son courage dans la reconstitution du Livre des Templiers. Un dernier Templier, donc ? Peut-être. Il est en tous cas plus soldat que moine, et prêt à partir à la découverte de Terra Incognita.


(LECTEUR : - On suppose donc qu’il n’avait pas un petit chat ou des poissons rouges. Mais sœur Melody, qui l’avait troublé en 1478 ?
AUTEUR : -La jeune Melody, qui avait retranscrit le message cabalistique gravé dans la pierre, a pris goût aux choses mystérieuses. Elle fut donc exécutée comme sorcière. Car, IN ILLO TEMPORE, les femmes étaient soit objets de plaisir, soit créatures du démon. Sauf la mère et la sœur de…
LECTEUR : - Et ce moine continue à servir une église qui a massacré celle qu’il aurait peut-être aimée ?
AUTEUR : -Le sport de haut niveau représente 10% d’inspiration et 90 de transpiration. La politique, qui est rarement de très haut niveau, est faite de 10% de conviction et 90 de discipline. Enfin, Melody est morte et Benito prêt à la grande traversée : à lui et ses compagnons les p’ tites Indiennes.
LECTEUR : - C’est dégueulasse.
AUTEUR : - C’est toujours le cas de l’Histoire. Mais activons, nous n’avons droit qu’à huit feuillets.)



Fra Benito est donc reçu par la Reine Isabelle. Qui décidait beaucoup dans le royaume. Une belle dame de quarante ans, très énergique. Pas la mégère qu’on craignait en sachant les bûchers évoqués ci-dessus, pas non plus la starlette qui aurait été facile à convaincre. Mais Benito remporte le morceau : le Royaume d’Espagne, s’il ne la financera pas, commanditera la découverte de la route des Indes par l’Ouest. L’Eglise et l’Etat unis autour des subsides venus du privé : c’est ainsi que tout devient possible.


(LECTEUR :-Le privé investissait déjà à l’époque ? Et il y a toujours aujourd’hui des problèmes pour les pensions des indépendants…
AUTEUR :-Depuis les plus anciens empires, même sans doute l’Atlantide, les contrats avec les Etats ont été de Gros risques !)



Il ne reste au légat du pape qu’à présenter à la reine très catholique celui qui deviendra le Grand Amiral. Il paraît que Colomb, à la fois illuminé et initié, va lui faire très forte impression. Que se passa-t-il exactement entre eux ? On ne sait, puisqu’il n’y avait pas de paparazzi à l’époque.

Après avoir séduit (du moins moralement) la rude Isabelle (qui était peut-être aussi prude, mais on ne le dit pas dans la chanson), il reste à Colomb, qui a déniché tout seul son gros sponsor, à armer ses caravelles. La Nina, la Pinta, et la Marie-Galante, qu’il rebaptisera Santa Maria.


(LECTEUR :-La Santa Maria s’appelait Marie-Galante ? Raccourci blasphématoire…
AUTEUR : -Peut-être. Et Marie-Galante est devenu le nom d’une île des Antilles découverte par le Grand Amiral. Tous renseignements, hôtels, tourisme,…sur internet)



Grand départ en septembre 1492. Cabotage jusqu’aux Canaries (une autre survivance de l’ancienne Atlantide) puis voyage jusqu’aux îles du Cap Vert d’où les trois caravelles (malgré une Pinta mal calfatée) vont filer vers un nouveau monde.
Bien vu : ce Cap Vert a raccourci considérablement le voyage dans l’inconnu.
Un voyage qui durera 35 jours. Colomb découvre son Amérique, du moins les Antilles, Cuba et la mer des Sargasses en octobre. Anciens sommets de la vieille Atlantide ? Encore à démontrer…Les voyageurs sont fort bien accueillis par les populations locales vivant à moitié nues sous un soleil généreux. Il paraît que les femmes, que Colomb appelait Indiennes, étaient particulièrement jolies, il paraît aussi qu’elles ont enchanté les marins, encore mieux que les antiques sirènes...



(LE HERAUT :
Quelques nouvelles d’Europe : après la mort du pape Innocent, Rodrigue Borgia est élu et choisit le nom d’Alexandre VI.
En France, le roi Charles devient menaçant face au royaume de Naples. En campagne, ses armées traverseraient sans vergogne les terres vaticanes. Craintes de Borgia face à ces barbares contre lesquels ses armées ne pourront lutter efficacement. Reviens, Benito, avec beaucoup d’or…
En Espagne, l’expulsion des Juifs se poursuit dans la discipline. (Et çà va durer des siècles…). Ceux qui s’en vont laissent leurs biens, qui seront récupérés par la Couronne…pour le financement des prochains voyages transatlantiques : il fallait un peu d’argent pour que les conquistadores aillent chercher beaucoup d’or.
Ceux qui restent doivent se convertir. Mais quand on les soupçonne d’une conversion peu sincère, la Sainte Inquisition allume ses bûchers et les Rois très catholiques continuent à jouer leur rôle d’exécuteurs testamentaires. Reviens, Colomb, ici aussi on attend beaucoup d’or…)



Aux Antilles, où il n’y avait qu’un peu d’or, Colomb s’organise. N’oublions pas qu’il y est vice-roi. Il renvoie en Europe la Pinta (toujours aussi mal calfatée), Benito s’y embarque, afin de faire rapidement rapport au Pape.
Echouage de la Marie-Galante-Santa Maria. Il ne reste donc qu’un navire.
Colomb laisse une quarantaine d’hommes dans ses îles et réembarque sur la Nina, afin de rendre compte de son premier voyage, et surtout de préparer les suivants.

Bien que commandités par Isabelle et Ferdinand, les deux navires feront au retour une halte mystérieuse chez l’ennemi portugais. Rentrée triomphale ensuite en Espagne, où les explorateurs ont ramené quelques sauvageons (pour la démonstration) et sauvageonnes (pour l’amusement).

Le pape Borgia à Benito et la reine Isabelle à Colomb émettront la même sentence : tant que ces sauvages ne sont pas baptisés, ce ne sont pas des Hommes. Et les terres qu’ils occupent sont donc disponibles.
Les pouvoirs spirituel et temporel ont ainsi donné leur aval à la conquête de l’Ouest et la ruée vers l’or.


(LECTEUR :-Donc, si Borgia avait été moins visionnaire, Sardou n’aurait pas chanté « Si les Ricains n’étaient pas là » et nous serions tous en Germanie ?
AUTEUR :-En Germanie ou en Soviétie, car il y a eu ce pacte secret entre Hitler et Staline, entre extrême-droite et extrême-gauche ! Mais l’histoire des Borgia n’a jamais inspiré Sardou, qui a préféré chanter les Celtes du Connemara…
LECTEUR :-Tandis que Julos a chanté « Christophe Colomb mon ancêtre est parti pour les Amériques,… ». Avec une telle conviction que la chanson fait croire que Colomb savait où il allait.
AUTEUR :-Comme Baudelaire, Chavée, Nerval ou Serdu, Julos est un poète, donc un visionnaire)

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